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RÉSEAU sur la Borréliose de Lyme en France, ses Co-Infections et les Maladies vectorielles à Tiques Construction collaborative d'une information critique contre le déni

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La maladie de Lyme se moque bien des dogmes de la science médicale…

C’est avec plaisir que nous accueillons ce texte qui aborde sous un angle sociologique la question de la division du monde médical et très finement en révèle les problématiques. Nous en remercions vivement l’auteur, C. Musy, qui l’a extrait spécialement de son blog en souhaitant qu’il éclaire chaque lecteur sur la situation actuelle. Car pendant que les tenants des sciences exactes et d’un dogme positiviste (l’homme est une machine) s’opposent aux partisans des sciences humaines et d’une vision de la médecine de terrain, les malades attendent et la maladie court. Nous avons choisi de diffuser cet article universitaire dans son entier mais vous en retrouverez aussi des extraits dans la rubrique Post-tiq. (NDLR)

La maladie de Lyme se moque bien des dogmes de la science médicale…

(et ce sont les malades qui en souffrent…)

Sommaire :1. Contexte - 2. Une recherche basée sur la statistique - 3. Une vision d’un corps «machine» - 4. Une pratique automatisée - 5. Quelles conséquences ? - En conclusion

La maladie de Lyme est une zoonose, une infection transmise par des tiques. Il existe deux visions de la maladie de Lyme, au niveau de la sémiologie, des méthodes diagnostiques et des traitements, ce qui donne lieu à une « guerre » entre groupes de médecins. Nous souhaitons expliquer ici que ces polémiques ont un fondement sociologique. Elles reposent sur une opposition de deux conceptions – au niveau sociologique – de la médecine, de ses références et de ses règles : la conception commune et une autre.

1. CONTEXTE

1.1. La maladie de Lyme et ses polémiques

1.1.1. La maladie de Lyme, maladie capricieuse

Une tique transmet de nombreux parasites : une multitude de souches de Borrelia, d’autres bactéries, des virus, des parasites (Hansmann, 2007[1]; INVS Franche-Comté, 2010[2]).
De nouveaux agents pathogènes sont découverts en permanence. Il doit même exister des agents transmis par les tiques non encore identifiés (INVS Franche-Comté, 2010). Selon l’état du patient, des infections opportunistes peuvent se développer en plus.
Chaque patient peut ainsi véhiculer de nombreux agents pathogènes, difficiles à tous identifier et occasionnant des symptômes variés. La « maladie de Lyme » constitue en fait un ensemble d’infections, directes – transmises par des tiques – et indirectes. Il existe une confusion dans le terme « maladie de Lyme » : il peut représenter l’infection causée par la bactérie Borrelia burgdorferi, appelée également « borréliose de Lyme » ou l’ensemble des infections causées par les tiques.
L’état général initial du patient – efficacité du système immunitaire, hygiène de vie – joue également un rôle dans les manifestations des pathologies.
La variabilité de l’exposition aux pathogènes et de l’état du patient fait que chaque cas est unique : causes spécifiques, symptomatologie spécifique.
De nombreux patients se plaignent, après une maladie de Lyme traitée suivant les directives, de symptômes subjectifs – douleurs, fatigue et troubles cognitifs – sans preuve d’infection avec les sérologies de routine, trouble que l’on a appelé « syndrome post-Lyme ».

1.1.2. Deux visions de la maladie de Lyme

Deux conceptions de la maladie de Lyme s’affrontent.

  • L’IDSA - La société américaine des maladies infectieuses (IDSA) considère la maladie de Lyme comme une maladie à symptômes définis, détectable avec certitude par des sérologies (Wormser et al, 2006[3]). Elle se traite efficacement en deux à quatre semaines d’antibiotiques. Le « syndrome post-Lyme » n’est pas relié à un reste d’infection mais est une manifestation des douleurs de « la vie de tous les jours » ou est lié à des troubles psychologiques.

Ces directives ont été reprises au niveau européen par l’EUCALB, puis en France (SPILF, 2006[4]). Dans les congrès, des intervenants interpellent leurs collègues sur d’autres pathologies transmises par les tiques potentiellement préoccupantes (ex. Hansmann, 2007), mais sans suites…

  • L’ILADS - De l’autre côté, plusieurs groupes de médecins dans le monde, notamment l’International Lyme and Associated Diseases Society (ILADS), estiment que la maladie de Lyme est une maladie bien plus complexe. Ils affirment avoir constaté, dans leur expérience clinique, les lacunes des directives officielles, parfois contraires à la logique. Pour eux, les analyses ne sont pas fiables, du fait de l’abondance des causes ; la clinique est l’élément principal pour le diagnostic (Burrascano, 2008[5]). La maladie de Lyme nécessite des traitements longs et intensifs jusqu’à disparition totale de tous les symptômes. Le syndrome post-Lyme est une réelle infection devenue chronique, soignable avec des traitements de longue durée. Ces médecins sont suivis par de nombreux patients et associations de patients dans le monde, qui se disent guéris par ces méthodes, à l’inverse des méthodes traditionnelles.

Les médecins suivant cette voie sont qualifiés d’« anti-scientifiques », de « charlatans » par les scientifiques de l’autre bord (Auwaerter, 2011[6]). Cela va jusqu’à des interdictions d’exercice, des poursuites en justice…
Pourquoi ces derniers sont-ils qualifiés de manière aussi dure, alors que d’après leurs patients ils semblent efficaces donc compétents ?
Parce que, au fond, la maladie de Lyme n’est pas une maladie classique, avec un agent infectieux, quelques symptômes invariables et un traitement. Des polémiques existent parce que ces médecins lancent des affirmations qui dérangent les conceptions et les principes établis en médecine depuis plusieurs siècles.

1.2. La science et ses représentations

1.2.1. La science s’opère dans un cadre établi

L'illusion du canard-lapin de J. JastrowLa science étudie et déchiffre les phénomènes de la nature, à partir desquels elle établit des modèles généraux de représentation du monde, appelés « paradigmes ». Les savoirs scientifiques ne sont ainsi jamais la réalité, mais une interprétation de celle-ci(Kuhn, 1962[7]). Des communautés, chacune possédant un paradigme différent – une vision différente du même monde –, peuvent coexister, en opposant leurs idées.[8].
Au cours du temps, le paradigme montre ses faiblesses et un nouveau paradigme est adopté, plus général et englobant le modèle précédent ; on est ainsi passé de la physique gravitationnelle de Newton à la relativité d’Einstein. Dans ses grandes lignes, la science ne se construit pas progressivement, par accumulation, mais par paliers, brutalement – et souvent douloureusement…
Les recherches s’effectuent dans un cadre de représentations et de lois qui les contraint. Ce cadre est un obstacle aux théories discordantes, jugées « non scientifiques ».
En plus des théories scientifiques, un paradigme véhicule également les croyances, les valeurs et les traditions de la communauté scientifique. Certaines connaissances peuvent dominer parce qu’un groupe de scientifiques les défend et les propage – parfois par intérêt personnel…

1.2.2. Le modèle de « la » science

Au 17ème siècle, le Siècle des Lumières, Newton transforme la science avec sa théorie de la gravitation universelle : il est le premier à construire une théorie mathématique, abstraite, à partir de faits observés. Les savants réalisent que le monde obéit à des règles constantes.
La théorie du « mécanisme » apparaît, qui soutient que tous les phénomènes ont un lien de cause à effet, et que les mêmes causes produisent les mêmes effets. La médecine suivra ce mouvement, avec la naissance de la médecine mécaniste.
Depuis, les sciences modernes ont pris les méthodes des sciences expérimentales (mathématiques, physique et chimie) comme paradigme – modèle – de méthodologie scientifique, leurs méthodes étant les seules jugées réellement « scientifiques » ; et plus précisément la physique de Newton : puissante, exacte et fonctionnant dans un monde mathématique idéal (Frodeman, 2003[9]).
La science moderne ne se base plus sur l’observation des choses mais sur l’expérimentation, qui peut être résumée simplement par le modèle OHERIC : Observation, Hypothèse, Expérience, Résultats, Interprétation, Conclusion (Giordan, 1978)[10]. Pour adopter ce modèle issu des sciences exactes, les sciences de la nature réalisent leurs recherches en laboratoire. Avec son matériel purifié, ses paramètres contrôlés, le laboratoire est un monde clos, idéalisé, parfait pour l’expérimentation.
La médecine moderne a elle aussi adopté la méthode expérimentale, à la fois dans la recherche et en pratique. Elle a été initiée par Claude Bernard au 19ème siècle.

2. UNE RECHERCHE BASÉE SUR LA STATISTIQUE

Les recherches médicales sur les méthodes diagnostiques ou thérapeutiques doivent bien entendu s’effectuer non pas en laboratoire clos mais sur des patients, vivant dans le monde réel. C’est pour cela que les recherches actuelles se basent sur des modèles statistiques utilisant une large population de patients, pour minimiser l’influence des individualités et tendre vers un modèle idéal. Pour réduire encore plus les effets du « monde réel », les études sont souvent conduites en « double aveugle » : ni l’expérimentateur ni l’examinateur ne savent si l’expérimentateur prend le produit actif ou un placebo.
La maladie n’est plus définie par l’individu mais du point de vue d’une population (statistique).
Or, pour faire de la science la plus juste possible, l’individualité de chaque être doit être prise en compte (Canguilhem, 1952[11]). Mais cette individualité est problématique dans une expérience scientifique. Pour cette raison, le modèle de l’expérimentation en physique ou en chimie ne peut être appliqué à la biologie ou la médecine. Pourtant, dans le monde médical ancré dans ses méthodes de science exacte, seules les analyses statistiques font foi. Les affirmations non établies sur des études statistiques ne sont pas considérés comme fiables :
Les preuves que les dirigeants de l’ILADS citent pour leurs directives, consistant principalement en anecdotes, en études de systèmes animaux, de pertinence douteuse pour la maladie humaine, et en études sur des traitements antibiotiques à long terme non contrôlées, ne satisfont pas les critères reconnus pour la médecine basée sur les faits evidence-based medicine (Auwaerter et al, 2011).[12].

3. UNE VISION D’UN CORPS "MACHINE"

Pour la médecine mécaniste, initiée par Descartes[13], un nouveau paradigme apparaît : le corps est considéré comme une « machine », formée d’organes indépendants et identiques chez tous les individus. Les phénomènes observés par le médecin peuvent s’expliquer par des causes physiques.
En parallèle du paradigme mécaniste, apparaissent les techniques médicales modernes. C’est la fin des épidémies – peste, choléra, etc. – où les personnes infectées meurent rapidement sans avoir le temps d’ « être malades » et le début d’une époque moderne où les infections – comme la tuberculose – sont guéries grâce à la médecine. Les inefficaces saignées du Moyen-âge sont remplacées par de réels médicaments – notamment les antibiotiques – qui feront la gloire de la science médicale mécaniste.

La vision d’un corps fonctionnant comme une machine a plusieurs répercussions, incompatibles avec les affirmations sur la maladie de Lyme des médecins opposés :

3.1. Des organes indépendants

Dans une machine, il est possible de s’occuper d’une partie sans s’intéresser au reste ; dans une lampe de poche, on peut changer la pile sans affecter l’ampoule…
Cette vision dénie que le corps humain est un système interactif complexe de molécules, cellules, tissus, organes, de physique et de psychique, influencé par son génotype personnel et en interaction avec l’environnement : alimentation, hygiène de vie, environnement, société humaine, etc. (Canguilhem, 1952).
Au fur et à mesure de l’avancée de la science et de l’accumulation des savoirs scientifiques, la médecine s’est divisée en disciplines, afin de délimiter les savoirs et spécialiser le travail. Chaque discipline étudie un organe ou un ensemble d’organes particulier – néphrologie, ophtalmologie, etc. –, un patient – pédiatrie, gynécologie, etc. –, une pratique – anesthésie, médecine du travail…
Mais la spécialisation en médecine, et maintenant l’hyperspécialisation, a entraîné le risque de restreindre l’objet étudié à une « chose », en oubliant qu’il appartient à un corps interactif. En biologie et en médecine, pour étudier une fonction biologique, il est nécessaire d’étudier cette fonction au sein de l’organisme tout entier, donc d’étudier l’être vivant dans son ensemble (Canguilhem, 1952).
La maladie de Lyme peut affecter de nombreux organes. Le patient est souvent conduit auprès de nombreux spécialistes, les symptômes étant reliés à des maladies multiples, soupçonnées mais jamais trouvées…

3.2. Des signes cliniques invariables pour une pathologie

Pour une pathologie donnée, des études statistiques déterminent les signes caractéristiques – symptômes – et les examens révélateurs à effectuer. À une pathologie donnée correspond un ensemble de symptômes ; la pathologie a elle-même une origine spécifique (agent pathogène, traumatisme, etc.).
Avec cette méthode, où est la place d’une pathologie multiple telle que la maladie de Lyme et toutes ses co-infections, pour lesquelles une multitude de symptômes peuvent apparaître ? Il semble difficile d’établir une liste-type de signes.

3.3. Des sérologies fiables

Dans un corps censé fonctionner comme une machine, l’entrée d’agents infectieux dans le corps entraîne infailliblement leur détection par le système immunitaire et la création d’anticorps. Ce système permet de créer et d’utiliser des sérologies (dosage des anticorps) pour rechercher les infections.
Étant donné que B. burgdorferi peut se « cacher » du système immunitaire, sa détection est difficile. De plus, de nombreux autres agents pathogènes peuvent intervenir, pas forcément recherchés.

3.4. Des traitements infaillibles

Dans un cadre mécaniste, un médicament fonctionne comme dans une réaction chimique, de manière automatique et sûre : une molécule (ou une combinaison) à un dosage donné détruira efficacement un agent infectieux donné. Les molécules à employer et leurs dosages pour traiter chaque affection sont déterminés par des études cliniques.
Il existe une limite aux études statistiques en médecine : si un ensemble de signes médicaux a plusieurs causes dont certaines non connues, causes qui doivent être supprimées par des traitements différents, une étude sur un traitement donné montrera que ce traitement est efficace sur une faible partie des malades seulement. Même si ce traitement est en fait efficace pour soigner les cas ayant cette cause, il sera rejeté car pas assez efficace sur la population…
Pour la maladie de Lyme, comme il semble difficile, chez un patient, de déterminer tous les agents infectieux présents et leur influence pathogène, il ne peut exister de protocole de traitement standard ; un traitement qui soignera efficacement un patient sera inactif chez un autre. Des études cliniques, basées sur des analyses statistiques, peuvent difficilement prouver l’intérêt d’un traitement donné sur la majorité des cas.
Certains médecins proposent de traiter la maladie de Lyme au cas par cas, et avec une méthode empirique, invoquant le fait que l’on ne peut pas s’assurer d’avoir détecté absolument tous les agents infectieux : ils ajustent les traitements suivant l’évolution des symptômes et de l’état de santé du patient. Cette méthode « par tâtonnement », sans rechercher à tout prix la cause des troubles, ne semble pas logique donc pas « scientifique » pour leurs collègues[14].
Par ailleurs, avec l’idée qu’une infection est « mathématiquement » guérie par le traitement, logiquement, une infection chronique ne peut exister.
C’est pourtant le cas de la maladie de Lyme, qui peut persister après traitement, selon l’état du patient et le traitement prescrit (Maxmen, 2011).

4. UNE PRATIQUE AUTOMATISÉE

4.1. l’evidence-based medecine

Les médecins sont invités à suivre une méthode clinique appelée « médecine basée sur les faits » (evidence-based medecine) ; elle consiste à combiner l’expertise individuelle du patient et les données de la recherche les plus modernes (Sackett et al, 1996). Elle est considérée comme la meilleure méthode, car elle permet de prendre en charge un patient avec ses particularités, avec les avancées les plus récentes de la recherche.
Elle implique de prendre en compte les données fondées de la recherche systématique pour établir un diagnostic et une thérapie, dans un but d’optimisation des compétences du praticien. Mais elle demande également d’intégrer l’expertise clinique individuelle du patient ; les directives ne doivent pas être un « livre de cuisine » à appliquer systématiquement et aveuglément.

4.2. La difficulté de reconnaissance de la maladie de Lyme

Le malade, par son vécu, perçoit la maladie de manière qualitative, avec son ressenti – douleurs, gênes, etc. (Canguilhem, 1952). À l’inverse, le médecin la définit de manière quantitative (examens), là encore sous l’influence des sciences exactes.
La normalité et la pathologie ont été définies par des méthodes statistiques : définition d’une norme, avec sa moyenne et ses écarts-types. Par exemple pour la glycémie (taux de glucose dans le sang), un individu est considéré « sain » si son taux se situe dans un intervalle donné ; en-dessous, il est en hypoglycémie ; au-dessus, en hyperglycémie, qui peut refléter un diabète.
En pratique médicale, à titre individuel, la méthode expérimentale fait également autorité. Le médecin réalise une « observation » à la fin de laquelle il établit un diagnostic et une thérapie si besoin[15].

Exemple de démarche médicale en appliquant le modèle OHERIC :

  • Observation : plainte du patient, symptômes;
  • Hypothèse : supposition d’une maladie;
  • Expérience : les examens, cliniques, biologiques, instrumentaux et d’imagerie;
  • Résultats : chiffres des analyses, radiographies…;
  • Interprétation : trouver les éléments qui ne vont pas;
  • Conclusion : diagnostic, prescription d’un traitement si besoin. La conclusion peut être également le renvoi vers un spécialiste, ou le passage à une nouvelle hypothèse à valider ou invalider par de nouvelles expériences pour établir une nouvelle conclusion.

Généralement, le médecin pose une hypothèse de pathologie, qu’il va confirmer ou infirmer suivant les résultats de son analyse.
Pour établir un diagnostic, il faut des preuves : soit des signes cliniques caractéristiques, soit des signes paracliniques issus d’analyses, de radiographies, etc.
Dans les textes officiels sur la maladie de Lyme (SPILF, 2006), la maladie de Lyme doit être diagnostiquée d’après des critères objectifs : soit par un signe physique pour la phase localisée – l’érythème migrant – soit d’après des sérologies pour la phase disséminée.
Les médecins qui affirment que les analyses courantes, pourtant validées par des études, ne sont pas fiables et que la clinique est le paramètre le plus important pour diagnostiquer une maladie de Lyme dérangent le modèle ancré dans les esprits de leurs collègues.
L’ensemble de symptômes non visibles par le médecin appelé « syndrome post-Lyme » – asthénie, algies diffuses et plaintes cognitives – (SPILF,2006) n’est pas considéré comme dû à la présence d’agents infectieux, puisqu’il n’existe plus de signes objectifs d’infection – d’après les analyses de routine –, mais comme une suite de borréliose traitée ; le nom de « post-Lyme » le sous-entend bien…
En l’absence de signes visibles – symptômes, analyses–, le médecin, avec sa méthode, ne peut conclure à l’existence d’une pathologie. Il considère son patient comme « sain » et dénie de ce fait son état de malade[16].
La maladie devrait être reconnue, en plus des données objectives, par des évaluations sociales et morales (Canguilhem, 1952). Le médecin devrait ainsi prendre en compte la dimension individuelle et subjective de la maladie, la conscience et le ressenti du malade, afin que la personne souffrante soit reconnue dans son expérience de la pathologie.

5. QUELLES CONSÉQUENCES ?

5.1. La hiérarchie de la communauté médicale dérangée

Des groupes de médecins établissent des directives pour le diagnostic et le traitement d’une pathologie, à partir des résultats de recherches. Les médecins traitants sont tenus de suivre ces directives ; ils sont en quelque sorte des « employés » sans prise d’initiatives.
La conférence de consensus (SPILF, 2006) est la directive française pour la borréliose de Lyme. Elle contient des directives tellement rigides que l’on peut figurer les démarches à effectuer – examens et traitements – par des schémas fléchés (INVS,2010).
Les médecins opposants proposent, non pas des protocoles définis, mais une « palette » de molécules utilisables (Burrascano, 2008) ; c’est le médecin traitant qui doit décider lui-même du traitement à appliquer, en choisissant les molécules pour chaque cas. Par rapport à l’evidence-based medecine, ces méthodes demandent plus de considération envers le patient particulier qu’envers les études généralistes.
À l’inverse des directives précises, ces méthodes donnent lieu à une prise d’initiative et de responsabilité de la part du médecin traitant.

5.2. Le statut du médecin ébranlé

Jusque récemment, la relation médecin-patient obéissait à un modèle de la « bienfaisance paternaliste » : c’est le médecin qui détient tout le savoir, un savoir étendu et « abscon » pour le patient profane. Le patient est ignorant et doit faire confiance aveuglément au praticien (Perotin, 2004).
Le statut du médecin a évolué et une nouvelle relation de soins est en train de s’établir ; c’est le modèle « autonomiste ». Différents médecins spécialistes et d’autres acteurs de santé, avec chacun leurs connaissances, se partagent la prise en charge du malade. De plus, le patient a maintenant accès à une information large et vulgarisée, grâce notamment à internet. Enfin, les maladies chroniques se sont développées, sur lesquelles le médecin a peu de pouvoir et sur lesquelles le patient s’informe par lui-même (Gillet, 2009). Le médecin n’a plus le rôle d’unique possesseur de savoir pour soigner son patient. Il est moins estimé, voire parfois traîné dans la boue par les médias lors des scandales de santé publique…
Les médecins critiquent, souvent à juste titre, la qualité des informations diffusées, notamment sur internet, par le grand public : sites, blogs, forums (Smith et al, 2006). Pourtant, internet peut permettre d’obtenir des informations non admises officiellement, donc peu visibles, mais justes. Les médecins soutenant la thèse majoritaire dénoncent ces théories « frauduleuses », des fantaisies hypocondriaques qui mettent en danger les patients… (Rorat et al, 2010).

5.3. La médecine ne rattrapera jamais la maladie…

La médecine est une science. Et comme dans toutes les sciences, le savoir se construit progressivement. En permanence, de nouveaux agents infectieux sont découverts : nouvelles souches bactériennes (de Borrelia), nouvelles familles de bactéries et de virus. Le savoir médical ne sera jamais complet ni jamais définitif. Et cela d’autant plus que la santé évolue, suivant les transformations de l’environnement et des modes de vie.
Les méthodes d’analyse et de traitement sont donc issues d’un état des connaissances médicales à un instant donné ; elles deviennent progressivement caduques. C’est pour cela que l’on demande que les médecins traitants se mettent à jour des recherches dans l’evidence-based medecine ; les médecins en exercice sont tenus de suivre une formation médicale continue : formations, colloques, lectures, etc.
Malheureusement, trop de médecins considèrent la médecine comme acquise définitivement. Cela n’est pas une science, mais une doctrine…
Trop souvent, les patients se plaignant de symptômes dont on ne trouve pas de cause objective sont catalogués « cas psy ». Les diagnostics sont effectués à un état de la recherche à un moment donné. Si le patient est atteint d’une pathologie que l’on ne découvrira que plusieurs années plus tard, il ne pourra évidemment être ni diagnostiqué ni traité…

POUR CONCLURE

La maladie de Lyme est transmise par une tique qui peut avoir auparavant prélevé du sang d’autres hôtes animaux, chacun avec leurs agents pathogènes. Zoonose multiforme, elle nous révèle que les espèces vivantes interagissent de façon complexe et variable. Maladie « naturelle », elle montre les limites d’une médecine standardisée, statistique, moins tournée vers les sciences naturelles que les sciences exactes.

La représentation établie dans la communauté médicale frôle la science exacte : des maladies cloisonnées, avec des directives universelles. Une conception solide et rassurante d’une science organisée, automatique, fiable.
C’est un système interconnecté : les mêmes principes sont utilisés pour diagnostiquer les malades, pour déterminer les symptômes sur ces mêmes malades et pour étudier sur eux l’efficacité des traitements.
La majorité des médecins ont une image de la maladie de Lyme, basée sur les études cliniques, d’une infection simple à détecter, simple à guérir et généralement bénigne.

D’autres médecins proposent une toute autre vision de la maladie de Lyme, formée d’après leur expérience des patients : une maladie systémique, capricieuse, individuelle ; une maladie à traiter au cas par cas, exigeant une relation moins prestigieuse avec le patient. Une vision également partagée par leurs patients, souvent rejetés par le système traditionnel mais respectés et traités avec succès par ces médecins.

Des médecins incompris par leurs collègues, qui, bien que de bonne foi, ne peuvent concevoir des idées aussi invraisemblables…
Des médecins qualifiés de « charlatans » pour oser remettre en question le système établi…
Dans un monde où l’environnement et les modes de vie ont changé, et par là les pathologies, ce sont deux visions de la médecine qui s’affrontent. Se basant sur leurs propres critères, elles se disent justes toutes les deux…
Des auteurs (Stricker et al, 2005) voyaient à l’horizon 2010 l’établissement d’un compromis entre les deux théories. Visiblement, la « Lyme war » a toujours lieu…

C. Musy - blog sélénite



Bibliographie

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  • Wormser et al, The Clinical Assessment, Treatment, and Prevention of Lyme Disease, Human Granulocytic Anaplasmosis, and Babesiosis: Clinical Practice Guidelines by the Infectious Diseases Society of America, Clin Infect Dis. (2006) 43 (9): 1089-1134. http://cid.oxfordjournals.org/content/43/9/1089.full

Notes

[1] Hansmann, CT3-04 Anaplasmose, Journées Nationales d’Infectiologie 2007, Dijon http://www.infectiologie.com/site/medias/JNI/JNI07/CT/CT3-04-Hansmann.pdf

[2] INVS Franche-Comté, Surveillance des maladies transmises par les tiques en Franche-Comté 2010-2012, http://www.fc-sante.fr/clefc/tiques_Cire/4-Plaquette_infos%207maladies.pdf

[3] Wormser et al, The Clinical Assessment, Treatment, and Prevention of Lyme Disease, Human Granulocytic Anaplasmosis, and Babesiosis: Clinical Practice Guidelines by the Infectious Diseases Society of America, Clin Infect Dis. (2006) 43 (9): 1089-1134. http://cid.oxfordjournals.org/content/43/9/1089.full

[4] SPILF, Borréliose de Lyme : démarches diagnostiques, thérapeutiques et préventives. 16ème conférence de consensus en thérapeutique anti-infectieuse, décembre 2006. http://www.infectiologie.com/site/medhttp://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC2349778/pdf/bmj00524-0009.pdfias/_documents/consensus/2006-lhttp://cid.oxfordjournals.org/content/43/9/1089.fullyme-long.pdf

[5] Burrascano, Diagnostic Hints and Treatment Guidelines for Lyme and Other Tick Borne Illnesses, 2008, http://www.ilads.org/lyme_disease/B_guidelines_12_17_08.pdf

[6] Auwaerter et al. Antiscience and ethical concerns associated with advocacy of Lyme disease, Lancet Infect Dis 2011; 11: 713–19 http://www.thelancet.com/journals/laninf/article/PIIS1473-3099%2811%2970034-2/abstract

[7] Kuhn, La Structure des révolutions scientifiques, 1962

[8] De la même manière, dans l’image illustrant cet article (cf. site Illusions d’optique), certains y verront un lapin, les autres un canard, bien qu’il s’agisse de la même image. Concrètement, l’image « matérielle » est identique pour tout observateur, mais elle est interprétable de différentes manières.

[9] Frodeman, Geo-Logic: Breaking Ground Between Philosophy And The Earth Sciences. Albany, State University of New York Press, 2003

[10] Le modèle OHERIC a été souvent critiqué et modifié; mais nous l’utilisons ici pour présenter de manière simple la démarche expérimentale.

[11] Canguilhem, La connaissance de la vie, Vrin, Paris, 1952

[12] Moreover, the support the ILADS leaders cite for their guidelines, consisting mainly of anecdotes, studies of animal systems of questionable relevance to human disease, and uncontrolled studies of long-term antibiotic treatment, does not meet accepted criteria for evidence-based medicine.

[13] Plus précisément, Descartes affirme que l’animal fonctionne comme une machine mais que l’homme se distingue de l’animal car il possède la pensée qui guide ses actions (concept d’« animal-machine »). C’est le médecin Julien Offray de La Mettrie qui étend l’hypothèse de Descartes à l’homme.

[14] Et cette pratique est d’autant plus mal perçue que les antibiotiques, principaux médicaments pour la maladie de Lyme, font actuellement l’objet d’une politique de restriction : les médecins sont invités à réduire leur prescription et à justifier leur emploi.

[15] Exemple de séquence de réalisation d’une observation médicale sur le site semio.uvsq.

[16] Il envoie donc bien souvent la personne vers la seule discipline où les symptômes sont intérieurs : la psychiatrie…

C. Musy (rédacteur invité)

Rédacteur: C. Musy (rédacteur invité)

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