De quelle communauté s’agit-il ? Il s’agit de personnes en souffrance, ayant eu une exposition variable à certaines bactéries et qui errent dans divers entre-deux : entre borréliose et syndrome post-Lyme, entre post-Lyme et fibromyalgie, entre neuro-borréliose et dépression… et qui, après avoir été refoulés dans divers services plus ou moins démunis, sont réduits à tourner en rond dans un système médical qui bien souvent temporise en suivant un protocole qui est loin d’être parfait.

Ces patients exaspérés après cinq, dix, quinze ans de souffrance sont toujours sans diagnostic et/ou sans traitement adapté et donc sans reconnaissance médicale. Ils ont tous entendu parler de « malfoutose », de fibromyalgie, d’hypocondrie ou de dépression car bien qu’ayant suivi toutes les pistes ils consultent à nouveau et se plaignent de symptômes récurrents. Ces symptômes varient d’une personne à l’autre mais peuvent se montrer extrêmement handicapants. Ils sont cependant souvent qualifiés de « trop subjectifs » ou de psychosomatiques car leur organicité varie également. Ce phénomène est tellement répandu qu’il occulte la compétence des médecins dans le traitement de certaines formes de borrélioses précoces et flagrantes.
Que dire alors si l’on ne s’en tient pas au rôle exutoire des réseaux numériques ?
Que « nous » sommes visiblement nombreux à créer une dissonance avec la musique officielle. Par « nos » symptômes « nous » sommes porteurs d’une réalité qui n’est pas appréhendée convenablement. « Nous » sommes une réalité qui déborde du cadre établi par les experts. Bref ! « nous » sommes une réalité qui dérange mais exige de l’attention. Pagaille de Lyme.jpg

Maladie sans contours, et flou diagnostic

Aujourd’hui il est urgent d’avancer et de porter les expériences criantes et le fruit du travail courageux des associations et des réseaux au devant des pouvoirs établis. L’information ne suffit plus il faut s’atteler aux problèmes ardus qui se posent dans les cas de « Maladie de Lyme » ou de « Borréliose (s)». Pour les aborder sur un mode profane essayons l’hypothèse suivante :
La « borréliose » est une maladie mal connue qui possède actuellement une représentation sans contours. Elle plonge de nombreuses personnes, patients et professionnels de la santé, dans le désarroi. Elle occasionne des errements et des dépenses considérables en brouillant les cartes par ses facultés imitatrices et ses incidences multiples. On ne sait pas exactement où commence et où finit la « borréliose ». Pourquoi ?

Il existe différentes souches de borrélies et on n’identifie pas actuellement l’incidence de chacune d’entre-elles sur les symptômes multiples et peu spécifiques de la maladie sans prendre le risque d’être taxé de charlatan. De plus tous les séropositifs ne sont pas malades et tous les malades ne sont pas séropositifs.
Ainsi un patient qui présente un sérodiagnostic positif à B. Burgdorferi, B. Afzelli, B. Garinii et B. Spielmanii ne sera pas automatiquement reconnu comme malade s’il ne présente pas un tableau clinique significatif avec des répercussions organiques visibles (lésions cutanées, érythème, paralysie faciale, problèmes articulaires...) car on admet généralement que les deux principales sérologies prescrites actuellement (Elisa, Western-Blot) sont peu fiables et difficilement interprétables.
Par ailleurs les mérites de la détection moléculaire par PCR sont vantés mais cette technique n’est pas encore employée couramment. On peut se demander ce que cache le peu d’empressement dont témoigne la médecine à recourir à des techniques de pointes en matière de dépistage et à continuer obstinément à prescrire des sérologies par Elisa ou Western-Blot en suivant les recommandations de la Spilf...

Spirale sans fond

Ce flou du sérodiagnostic oriente trop fréquemment le patient sur un « holzwege » qui est loin d’être un parcours de santé et quand il en prend conscience pour la première fois le patient entre dans une spirale sans fond qui le déboussole. Il passe alors par différentes étapes qui ne sont pas celles décrites dans les manuels de médecine.

D’abord il fait des analyses sanguines qui sont peu utiles lors de la consultation suivante. On lui prescrit une thérapie allant habituellement de 28 jours à plusieurs mois d’antibiotiques (cyclines) et si une amélioration fulgurante ou une réaction d’Herkxheimer survient on conclura en faveur d’une borréliose en faisant d’une pierre deux coups : un traitement faisant office de diagnostic ou inversement.
A ce stade les choses se compliquent car tous les médecins ne sont pas enclins à réitérer ou à prolonger l’antibiothérapie qui peut présenter « certains risques ». S’il consulte à différents endroits le malade recommencera plusieurs fois le même parcours. On lui proposera rarement un suivi digne de ce nom pour mesurer l’évolution. Parfois on se fâchera. Souvent, en procédant par élimination, on lui fera faire une batterie de tests (ophtalmo, neuro, dermato, osthéo, ortho, rhumato, psycho,...) pour éliminer une à une les pistes esquissées par ses plaintes. S’il revient avec les mêmes symptômes et des résultats d’analyses non significatifs les choses se compliquent à nouveau.
Le patient est tenté d’aller voir ailleurs : un autre médecin, un autre hôpital, une autre région, un autre pays, un autre monde. Puis il est tenté de faire un tour du côté des médecines alternatives qui offrent une vision complémentaire du problème. Et très rapidement il se trouve en porte-à-faux. Tout se mélange : acidose, « effet placebo », mercure, « malfoutose », « syndrome de la maladie fantôme », « syndrome du chasseur », « électrosensibilité », guerre des « anti » contre les « pro »biotiques, chimio contre phyto... Le laboratoire d’analyse (cf l’affaire du laboratoire Schaller) contredit le médecin qui traite ce premier de charlatan.
Le psychiatre jette sa bouée d’antidépresseur pour adoucir le naufrage. Il vous prescrit quelques boites ( ça suffira ?) entre deux ordonnances de Subutex.
Le psychothérapeute, plus philosophe, rétorque au naufragé : Vous êtes en train de couler ?! Soit ! Mais n’allez pas de surcroît en faire une maladie ! Le pathos est une faute de goût ! Pas de scandale je vous prie, il n’y a que vous et moi ! Je sens bien qu’il y a de la colère en vous mais on va s’arrêter là ! Enfin le psychanalyste peu inspiré : Avez-vous remarqué que dans Lyme on entend « aïe » ou « heim » et que dans pathétique il y a tique ?
Il faut alors ajouter au désespoir les effets secondaires liés aux nouvelles drogues, les symptômes qui abattent le malade de façon chronique, la fatigue ou le stress liés à une vie professionnelle qui se complique, la détérioration progressive de l’état général, la diminution des activités sociales et sportives, le repli sur soi. La maladie s’auto-alimente sous l’effet anxiogène des questions irrésolues.
Cet engrenage n’est pas une fiction mais une réalité tristement banale pour laquelle la prise en charge s’invente souvent au cas par cas et au jour le jour. Certes ! il existe des situations moins difficiles. Mais tout laisse à penser que le cas d’École que présente le scénario idéal ( piqûre de tique→ érythème → antibiotiques→ guérison sous trois semaines ) n’est pas suffisamment représentatif de la « borréliose » comme certains voudraient le faire croire par commodité ou par goût pour la littérature enfantine (cf. Casterman, Martine découvre la maladie de Lyme, 1975). Méfions-nous des images d’Épinal dans lesquelles on force le trait pour un découpage maladroit du sensible.

Face aux pilotes suicidaires...

Qu’entendre alors par « borreliose » ou « maladie de Lyme » ?
La « borréliose » sous ses formes persistantes et chroniques est encore ignorée. Il est délicat à ce jour de distinguer clairement la part du déni de la part de méconnaissance. Mais tout dogmatisme en la matière s’attire les foudres des « vieux »malades de longue durée qui sont autant de preuves vivantes d’insuffisances graves en matière de gestion de la santé publique.
Les médecins qui reconnaissent que l’on ne sait pas tout ne sont pas légion et ceux qui cherchent le sont encore moins. Ils sont rapidement montrés du doigt par leurs confrères car il est toujours plus facile d’avoir tord collectivement que d’essayer d’avoir raison seul.

L’échec relatif de l’antibiothérapie, l’incapacité des sérologies à évaluer l’ampleur d’une infection et la chronicité sont des exemples de sujets tabous. Car pourquoi continuer à recommander (Spilf2006) les tests Elisa et Western-Blot s’ils ne sont pas représentatifs ? Faut-il être diplômé pour discerner une vulgaire insulte au bon sens ? Certains répondent, en prenant des gants et des pincettes, qu’il s’agit d’un outil qui participe du diagnostic global, que l’un ne peut être substitué à l’autre et que, à défaut d’un test plus fiable, pour l’instant c’est ce qu’on fait de mieux. « Séropositifs ! », dormez tranquilles, tout va bien, on s’occupe de vous ! « Séronégatifs ! », dormez tranquilles, tout va très bien on s’est occupé de vous !
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La voie de la guérison.jpg Nombreuses sont les personnes qui effectuent des trajectoires chaotiques dans l’obscure nébuleuse du Lyme en attendant une réponse précise que la médecine actuelle ne peut ou ne veut offrir. Bien souvent elles ne savent plus comment regarder leur nouveau médecin durant le quart d’heure ou l’heure d’entretien avec le généraliste ou le spécialiste. Puis-je voir en cette personne celui ou celle qui me fera retrouver la santé, se demandent-t-elles ? Le malade hésite à accorder sa confiance car il a peur, encore une fois, de ne pas être crédible. Il est pris de ce que l’on pourrait appeler le « Strangelove Syndrome » : sentiment d’hésitation que l’on ressent face à une personne en qui l’on reconnaît le pouvoir d’avoir autorité en la matière et d’influer sur sa vie. On espère être en présence du fonctionnaire aimable, raisonnable et doué d’une conscience humaniste mais il arrive que la figure du savant-fou apparaisse en filigrane dans quel cas on refusera de reconnaître la figure paternelle du sage...

Quand le patient possède assez de force et de présence d’esprit pour ne pas envoyer sa colère au visage du médecin il peut se demander ce qu’il ferait à sa place et essayer de transposer la situation dans d’autres métiers.
Dans un avion, écrit Judith Albertat dans le livre qui relate son parcours, il n’est pas concevable d’éteindre l’écran qui indique une panne. Il serait suicidaire que le pilote ignore les indicateurs qui témoignent d’un dysfonctionnement.
Pour sa part un garagiste consciencieux ferait signer une décharge au client trop économe et réaliserait tous les désirs du client dépensier.
Le professeur mettrait en œuvre des remédiations pédagogiques, dans une certaine mesure, pour éduquer un élève récalcitrant.
Le médecin n’échappe pas à la règle. Il engage à sa manière sa conscience professionnelle. Le monde est plein de Docteur X ou Y, de Professeur + ou - et certains méritent leur réputation.
Mais au-delà de la rancune qui souvent nous assaille faut-il attendre des miracles de la part de l’un ou de l’autre ? Que peut le médecin qui vous a déjà consacré son temps entre deux rendez-vous et qui n’a pas de solution ? Il peut vous inviter plus ou moins courtoisement et consciencieusement à chercher ailleurs et à repasser plus tard. Dans la plupart des cas il fait ce qu’il peut avec ce qu’il a. Il travaille.

Subir la maladie ou prendre en main sa santé

Et le patient ?
Il vient avec des maux qui font éclater les catégories socioprofessionnelles, qui ne s’accordent à aucun emploi du temps et qui font appel à des compétences et à un vocabulaire encore inexistants Le malade porte en lui une réalité en mal d’interprétation et on lui propose des représentations provisoires. Exemples : La sérologie est la première étape pour évaluer une infection bactérienne. Ou : la maladie de Lyme se compose de trois étapes clairement distinctes : l’étape 1, 2, 3... La maladie de Lyme se soigne avec des antibiotiques de type cyclines uniquement...
Démarches empiriques et connaissances a priori peinent à dresser une cartographie de la borréliose(s) adaptée au temps réel de la pathologie. La « maladie de Lyme » ou la « borréliose(?)(s)(...) » sont des représentations sans contours ; sinon provisoirement et en pointillés. Peu de praticiens le reconnaissent.

Mais dans l’attente d’une définition plus juste nous pourrions déjà éviter certaines erreurs.
Car il est intolérable de laisser faire aux patients des démarches couteuses et douteuses. Il est intolérable de ne pouvoir bénéficier d’un suivi médical pour une maladie chronique. Il est intolérable qu’aujourd’hui l’écoute et l’humilité ne remplacent pas les attitudes péremptoires. Il est intolérable de voir les intérêts financiers pré-fabriquer des principes médicaux. Il est intolérable de voir qu’une technique de sérodiagnostic est différemment reconnue de chaque côté du Rhin. Intolérable de se contenter d’un « ça pourrait être pire » en guise de diagnostic et d’attendre que l’épaisseur d’un dossier médical soit suffisamment inquiétante pour crédibiliser le patient. Il est intolérable qu’un agent forestier soit plus facilement pris au sérieux qu’un promeneur du dimanche. Et pourtant...

A force, on devient sceptique et méfiant.
Humour noir et dérision recouvrent une carapace toute cabossée d’avoir buté contre des portes closes. Militer pour prouver qu’on est malade semble souvent malsain et quand on n’est même-plus sûr de ne pas savoir, alors il faut tout reprendre à l’infinitif : Ouvrir les yeux, bouger une main, allumer la radio, se lever, ouvrir les volets, regarder par la fenêtre...
Les ombres du Lyme sont aussi une mine d’or pour les vendeurs de miracles qui voient dans le malade sans remède un client ou un électeur potentiel. Nombreux sont les effets d’annonce publicitaires qui vantent les pseudo-progrès d’une pseudo-science mercantile. Il y a toujours quelqu’un avec qui « ça a marché », toujours quelqu’un qui a entendu parler des résultats foudroyants d’un remède si simple qu’on n’y avait pas pensé, qui a entendu parler du « bon médecin » ou de l’homme qui a guéri en broutant de l’ail des ours, en lisant un livre, grâce à une machine à positiver, grâce aux incantations d’un chaman, grâce à une potion magique ou grâce à une molécule du futur ou du passé... Ne prenons pas les vessies pour des lanternes. Plus nombreux sont ceux qui guérissent en suivant patiemment un régime alimentaire et des traitement complémentaires successifs couplés à un développement personnel sur le long terme.

Quand on reste sans réponse il faut devenir « acteur de sa santé ». Il faut déposer sa souffrance sur le papier en se disant que, si ça ne change pas le monde, ça permet au moins de se débarrasser d’un poids d’absurdité dont on n’est pas responsable. Notre santé nous appartient. On peut être aidé ou pas mais on commence à être vraiment malade quand on commence à croire qu’il est raisonnable d’attendre le verdict d’un docteur. Remettre aveuglément et intégralement sa santé entre les mains d’un vrai « pro », d’un sauveur. Quelle erreur !
Quand on consulte un généraliste il faut savoir ce qu’on vient chercher. Quand on consulte un spécialiste il faut garder, non pas un espoir qui peut être déçu mais, un œil ouvert sur le possible. Après tout, on ne sait jamais ! On verra bien (ou rien) !

Le patient qui souffre de « Maladie de Lyme » souffre d’une cause supplémentaire qui n’est pas imputable aux bactéries mais aux erreurs de jugements et aux attitudes stéréotypées qui découlent, répétons-le, d’un déficit de recherche et d’une absence de techniques de diagnostic non équivoques.
La « borréliose(?)(s)(...) » représente actuellement autant une question qu’une affirmation. Elle unifie provisoirement une multiplicité de cas qu’elle ne parvient cependant pas à circonscrire de manière satisfaisante. Des progrès viendront, après la nécessaire querelle actuelle, si l’on recentre collectivement nos forces autour de ce problème de santé publique. Pour l’instant on refuse encore trop souvent de dire qu’on ne sait pas tout. On trace des lignes abstraites sur une figure encore floue sous la pression d’intérêts corporatistes ou on se cache derrière une « petite bête » qui, agrandie monstrueusement lors de nombreuses conférences de prévention, se transforme en grand méchant loup.
Essayons de discuter ouvertement pour mieux appréhender une forme complexe dans laquelle se mêle des questions d’environnement, de pratiques médicales, de pressions commerciales, de gestion des service publiques, de politique internationale, de recherche scientifiques et d’information.

Conclusion :
« Adapter au contexte clinique et/ou thérapeutique »

22/04/2012 B38